Sahel : Comment éviter que l’or ne serve au financement du terrorisme ?

 

Les chiffres font froid dans le dos. 70 milliards !  Eh oui. C’est la rondelette somme que les terroristes ont engrangée dans les attaques contre les sites miniers au Burkina Faso depuis 2016. L’Observatoire économique et social du Burkina est parvenu à ces estimations au terme d’une étude commanditée par le gouvernement pour mieux comprendre le phénomène. Comme on peut aisément le constater, le terrorisme est un business bien lucratif pour certains burkinabè qui n’hésitent pas à le financer via des sociétés de transfert d’argent ou des ONG. Pendant que des centaines de personnes en meurent, le terrorisme constitue une échelle d’ascension sociale et économique pour une catégorie d’acteurs qui ont tout intérêt à ce que les attaques ne prennent jamais fin. Le ver est bien dans le fruit. Il faut impérativement l’en extirper.

Les spécialistes dénombrent quatre principaux mécanismes de financement du terrorisme. i) le financement du terrorisme par le commerce et d’autres activités lucratives ; ii) le financement du terrorisme par le biais des ONG, des organisations caritatives, et des prélèvements ; iii) le financement du terrorisme par la contrebande d’armes, de biens et de devises par les passeurs de fonds ; et iv) le financement du terrorisme par le trafic de drogue. Aujourd’hui, les terroristes lèvent des fonds par des entreprises commerciales légitimes, des organisations à but non lucratif, l’exploitation de ressources naturelles, les dons, le financement participatif et le produit des activités criminelles comme l’enlèvement contre rançon, l’extorsion, le commerce illicite et le trafic des biens culturels, la traite d’êtres humains, le trafic de drogues ou encore le commerce illicite des armes légères et de petit calibre.  Ils déplacent et transfèrent des fonds grâce notamment à des sociétés écrans, à des passeurs ou encore aux nouveaux moyens de paiement tels que les cartes prépayées, les paiements mobiles ou les actifs virtuels.  Selon International Crisis Group (ICG), les terroristes roulent sur l’or au Sahel.  En effet ces groupes armés s’emparent depuis 2016, de sites d’orpaillage dans des zones où l’Etat est faible ou absent. Leur convoitise est attisée par le boom du secteur aurifère artisanal depuis la découverte en 2012 d’un filon saharien. Les pays concernés sont le Mali, le Burkina Faso et le Niger qui sont en proie à des attaques terroristes quotidiennes. Dès lors, on comprend davantage les mobiles de l’attaque du 6 novembre  2019, contre un convoi de la société minière SEMAFO.Les groupes  terroristes cherchent à asphyxier économiquement les pays du Sahel. Et comme en guerre, tous les moyens sont bons, ils tentent de faire main basse sur les mines d’or afin de se faire une santé financière et militaire. C’est ce qui explique la multiplication des attaques dans les zones aurifères aussi bien au Burkina qu’au Mali et au Niger. En plus d’être des  sources de revenus, les sites aurifères constituent, pour les terroristes, un terrain propice au recrutement et à la formation, en l’occurrence le maniement des explosifs… Du nitrate d’ammonium, un composant utilisé sur les exploitations aurifères dans l’est du Burkina Faso, a ainsi été retrouvé dans des engins explosifs improvisés (IED) utilisés lors d’attaques dans la région. Les mines peuvent aussi servir de cache d’armes, de lieu de prêche et de recrutement. Les groupes terroristes savent instrumentaliser la colère et les frustrations de certains orpailleurs qui peuvent se sentir exclus par la gouvernance des sociétés industrielles.

Couper l’herbe sous les pieds des terroristes

Depuis plus d’une décennie, l’or est devenu le premier produit d’exportation du Burkina Faso. Le pays est le 4ième plus grand producteur continental après l’Afrique du Sud, le Ghana et le Mali. Au cours des deux dernières années, la production d’or du Burkina Faso s’est accrue de 36 à 60 tonnes par an. Le secteur a participé à plus de 916 milliards de FCFA de contribution directe au budget de l’Etat entre 2008 et 2015 avec près de 600 autorisations et titres miniers actifs à la fin de l’année 2016. En 2016, les recettes de l’exploitation minière s’élevaient à 189,9 milliards de F CFA, soit une hausse de 12,8% par rapport à 2015. Grâce aux réformes dans le domaine des mines, la contribution dudit secteur au PIB de 7,9% en 2015 devrait passer à 10,2% en 2020. La production artisanale atteindrait chaque année 10 à 30 tonnes au Burkina Faso. Face aux convoitises des terroristes, des mesures fortes et urgentes s’imposent.

Dans les zones aurifères marquées par l’insécurité, le Burkina Faso et les autres Etats du Sahel devraient soit déployer leurs forces de sécurité à proximité des sites, soit formaliser le rôle des acteurs locaux non étatiques en matière de sécurité des espaces miniers et mieux les encadrer.

Ils devraient encourager la formalisation des activités aurifères, notamment en délivrant des permis d’orpaillage et en mettant en place des comptoirs aurifères. Ces permis permettront de savoir qui fait quoi dans ces régions  pour éviter que des filières entières ne tombent sous le contrôle des groupes terroristes. Les États doivent en outre veiller aux arbitrages entre les mines industrielles, souvent exploitées par de grandes compagnies, et les mines artisanales,  ce, afin de ne pas créer un sentiment de dépossession parmi les populations concernées. Une autre mesure consistera à travailler avec le secteur privé, en particulier l’industrie du numérique. Il s’agit clairement de favoriser une coopération plus étroite des principales plateformes internet et des principaux réseaux sociaux, avec les cellules de renseignement financier, les services de police et de justice, de renseignement et d’enquête, pour lutter contre le financement du terrorisme et les contenus terroristes sur internet. En la matière, il convient de saluer la décision des autorités burkinabè portant obligation de paiement de certaines opérations, uniquement par des moyens numériques. Le Président du Faso Roch Kaboré a signé ce décret le 24 août 2020. Ainsi, à partir du 31 décembre 2020 au plus tard, le paiement des salaires, des indemnités, des factures, des frais d’établissement de visas d’entrée au Burkina Faso, des frais d’inscription dans les universités publiques et privées,… se fera numériquement.

Si les terroristes rivalisent d’ingéniosité, les États doivent toujours rester maitres de l’agenda et avoir constamment des longueurs d’avance.

 

Jérémie Yisso BATIONO

Enseignant chercheur

Ouagadougou

 

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