Dr Yacouba CISSAO
Socioanthropologue, Chercheur au CNRST/INSS
cissaoyacouba@yahoo.fr
Introduction
La migration demeure un puissant facteur de changement social aussi bien sur le plan socio-économique que sur différents secteurs de la vie des populations. Ces transformations plus ou moins profondes d’un milieu à un autre, peuvent être observées tant dans les zones de départ que dans les zones d’accueil des migrants. C’est ce que suggèrent plusieurs travaux pionniers (Daum, 1997, 1993 ; Lavigne-Delville, 1990 ; Ba et Coquet, 1994) qui montrent l’impact significatif des ressources issues du phénomène de la migration sur les pays d’origine des migrants en Afrique subsaharienne. Comme cela a été documenté à travers les recherches de Hazard (2004; 2010) et Zongo (2009), dans la province du Boulgou qui constitue une zone de forte émigration au Burkina Faso, les migrants s’orientent majoritairement vers des pays comme l’Italie, la Libye, le Gabon, la Guinée Equatoriale, la Côte d’Ivoire, le Ghana. Si ces auteurs ont largement décrit les transformations dans le secteur socioéconomique sur les zones de départ dans cette province, les investissements des migrants dans le domaine religieux ont été très peu questionnés. C’est ce que tente de faire cet article de vulgarisation tiré d’un article scientifique publié en 2025 dans la Revue Science et Technique.
- Méthodologie
La collecte des données sur lesquelles se fonde cet article de vulgarisation a été effectuée à différentes périodes entre les années 2014 et 2025. L’approche qualitative a été utilisée et dans ce sens, des entretiens individuels, de groupes, ainsi que de l’observation directe ont été conduits dans le département de Tenkodogo au cours des années 2014, 2015, 2018 et 2019. Nous avons fait également un passage dans la zone d’étude au cours de l’année 2025.
- Résultats
- Mosquée comme espace de socialisation
La mosquée en tant qu’espace public est un lieu de socialisation par excellence (Timera et al. 2016) où émergent la solidarité et l’entraide entre les membres de la communauté. Comme nous l’avons observé dans le milieu d’étude et comme on peut l’observer au quotidien dans notre environnement, l’expression de la solidarité et de l’entraide au sein de l’institution qu’est la mosquée a un caractère spontané si fait qu’elle apparait finalement comme une attitude qui s’mpose de manière naturelle. De même, et comme nous l’avons constaté, la mosquée est également le lieu où se médiatisent les projets d’investissements sociaux tels que la construction d’un pont ou d’un magasin de stockage de vivres. Pour ces réalisations, des contributions financières et matérielles sont ainsi sollicitées à la mosquée auprès des habitants et des migrants issus du village. Elle constitue à ce titre un espace public occupant une fonction sociale.
- Les migrants comme acteurs de la solidarité
Chez les migrants, la réponse à la prescription religieuse coïncide alors avec l’accomplissement d’un devoir moral à l’endroit de la communauté : « C’est un sacrifice [aumône] que j’ai fait pour les aider à pouvoir prier. » (O.M., 52 ans, migrant bissa installé en Italie depuis 13 ans, mars 2018). Voir ses parents restés au village entreprendre la construction d’une mosquée avec le peu de ressources dont ils disposent suscitera donc chez le migrant un élan solidaire. Cette solidarité honore et donne du sens à sa situation de fils du village parti pour chercher un mieux-être dans une autre contrée. C’est le cas de cet « Ivoirien » et de cet « Italien » : « Au village, là, c’est dur, il n’y a pas d’argent. Souvent il y a des petits villages qui ont besoin de mosquées et il n’y a pas de moyens… Les parents eux-mêmes font une réunion entre eux ici et ils nous demandent de l’aide » (M.O., 65 ans, tailleur, migrant installé en Côte d’Ivoire depuis 42 ans, mars 2018). « C’est nous qui avons pensé ainsi. Comme au village il n’y a rien, on a cotisé l’argent pour leur donner pour prier » (O.M., 52 ans, jardinier, migrant installé en Italie depuis 13 ans, mars 2018).
Pour cet habitant du village, l’apport des migrants concourt au développement du village, qu’il soit orienté vers la construction d’édifices réligieux ou celle d’infrastructures communautaires : « Si c’est une mosquée qui est construite, c’est pour le développement du village ; si c’est un pont qui est fait, c’est pour le développement du village. Je me dis que ça a à peu près la même valeur. » (S.R., 55 ans, musulman, mars 2018).
- La solidarité des migrants comme vecteur de développement local et forme d’auto-affirmation
Dans le contexte africain, la participation des migrants aux projets de développement local est une realité et constitue d’ailleurs une sorte de vitrine à travers laquelle ces derniers acquièrent une certaine visibilité. Un auteur comme comme Lavigne-Delville (1990) a montré dans ce sens que le prestige et la reconnaissance sociale jouent de façon générale un rôle non négligeable dans les projets de développement local lancés par les migrants. La réponse aux attentes communautaires de participation au développement local coincide avec un besoin d’affirmation sociale. En effet, l’appartenance à la catégorie sociale des « Italiens », des « Ivoiriens », des « Gabonais » ou des « Libyens », qui se distinguent par leurs réalisations au village et leur rapport aux biens matériels, apparaît comme une flamme qui se doit d’être ravivée par le devoir de solidarité auquel le migrant est tenu. Dans un tel contexte, le projet de construction d’une mosquée offre une sorte de tribune au migrant pour exprimer sa solidarité dans une sphère publique au sein de laquelle l’aide apportée est destinée à impacter d’une manière ou d’une autre la vie de tout ou partie des villageois. Bâ et Coquet n’affirmaient-ils pas que « Garder son statut social ou le promouvoir est un souci pour le migrant. Et la plus grande marque d’attachement reste la religion » (Bâ et Coquet 1994 : 168). La sphère religieuse se dégage alors comme un lieu privilégié pour la quête de l’honneur et de la bonne réputation, qui devient un réflexe chez les migrants. Dans le cas spécifique des migrants de retour de la Côte d’Ivoire, il ressort par exemple que les discours peu valorisants à leur égard sont apparus dominants (Degorce 2016). La participation à la construction de la mosquée répond opportunément à un besoin chez le migrant de s’affirmer socialement par le biais d’une solidarité déployée dans la sphère religieuse ou celle du développement local.
Conclusion
L’émigration de nombreux ressortissants du village à l’intérieur et à l’extérieur du continent est un atout qui permet des investissements remarquables au niveau local grâce à ces migrants. A côté des réalisations d’infrastructures comme les ponts, les forages, les écoles, l’aide financière des migrants destinée à la construction d’édifices religieux comme les mosquées tient également sa place. Du point de vue des acteurs de la construction de ces mosquées (fidèles, leaders religieux et migrants), ces actions ont une dimension religieuse et une dimension citoyenne, eu égard à l’affirmation de l’identité musulmane et du statut social ainsi qu’au bénéfice pour la communauté.
Bibliographie
Bâ A., & Coquet I., 1994, « Les initiatives des émigrés du fleuve Sénégal installés dans le
Nord-Pas-de-Calais », Hommes et Terres du Nord, 4, p. 166-171.
Cissao Y., 2025, « Pluralisme religieux et cohabitation au sein de la sphère islamique dans le village de Sabtenga, province du Boulgou (Burkina Faso) » Science et Technique, Juillet-Décembre 2025
Cissao Y., 2021, « Les logiques de l’aide des migrants à la construction des mosquées à Sabtenga, province du Boulgou (Burkina Faso) », in DEGORCE A. et KIBORA O. L. (Ed.), Migrations, mobilités et réseaux religieux au Burkina Faso, AMALION, p. 19-37
Daum C., 1997, « Immigrés acteurs du développement : Une médiation sur deux espaces », Hommes & migrations, 1206, p. 31-42.
Daum C., 1993, « Quand les immigrés construisent leur pays », Hommes & Migrations, 1165,
- 13-17.
Degorce A., 2016, « Discours sur les migrants de retour de Côte d’Ivoire dans le roman et la
chanson burkinabè », in Bredeloup et Zongo (dir), Repenser les mobilités burkinabè, Paris,
L’Harmattan, p. 145-174
Hazard B., 2010, « Réinventer les ruralités. La diaspora burkinabé en Italie dans la
reconfiguration des territoires ruraux : l’exemple de Beguedo », Cahiers d’études
africaines, 198-199-200, p. 507-528.
Hazard B., 2004, « Entre le pays et l’outre-pays. ‘’Little Italy’’ dans le Bisaku (Burkina
Faso) », Journal des Africanistes, 74-1/2, p. 249-274.
Timera M. B., Diongue M., Sakho P., Diene A N. et Diagne A., 2016, « Islam et production
des espaces urbains au Sénégal : les mosquées dans la périphérie de Dakar (Keur Massar
extension) », Germivoire, 4, p. 226-244.
Zongo M., 2009, « L’italian dream : côté cour. L’impact des transferts financiers des émigrés
bissa en Italie sur les villages de départ dans la province du Boulgou au Burkina Faso »,
Annales de l’Université de Ouagadougou, série A, 8, p. 397-419.

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