Dr Yacouba CISSAO
Socio-anthropologue, Chercheur au CNRST/INSS
Introduction
Si les frontières nationales constituent une ressource ou une manne en raison des bénéfices économiques que populations frontalières et Etat central en tirent, elles ne représentent pas moins un casse-tête pour cet Etat central car son administration quotidienne est bien délicate. La contrebande, la criminalité ou l’insécurité sont des défis importants dans le contrôle des frontières pour des ‘’Etats défaillants’’ (G. Belkacem, 2020). Pour O. J. Walther (2019), les zones frontalières figurent parmi les principaux foyers d’instabilité en Afrique du Nord et de l’Ouest. Dans le contexte des pays du Sahel confrontés à la crise sécuritaire depuis plusieurs années, la porosité des frontières qui demeure un fait constant qui est mis à profit par les groupes armés terroristes pour naviguer entre les territoires des pays voisins. Ces groupes terroristes semblent utiliser également ces espaces pour faire prospérer leurs activités de trafic de stupéfiants et autres produits illicites.
A partir de nos recherches conduites dans les communes frontalières de Bittou et Ziou, respectivement située au centre-est et au centre-sud du pays, cet article tente de décrire et analyser les modalités évolutives de contrôle des frontières au Burkina Faso dans un contexte de crise sécuritaire à laquelle le pays fait face depuis une décennie.
Ce document de vulgarisation est tiré d’un article scientifique publié en octobre 2025 dans la Revue Le Fromager.
- Méthodologie
Les données sur lesquelles se fondent cet article ont été collectées au cours de plusieurs séjours d’enquête de 2018 à 2021 dans la commune de Bittou et en 2023 et 2025 dans la commune Ziou. Une démarche socio-anthropologique privilégiant l’approche qualitative a été adoptée. Des entretiens semi-directifs, informels et de l’observation directe ont été ainsi conduits sur les deux sites. Des entretiens téléphoniques ont été également conduits auprès des informateurs dans les sites de l’étude. Les différentes catégories d’enquêtés sont les représentants locaux de l’Etat (mairie, préfecture, police, gendarmerie, douane), les autorités traditionnelles et coutumières, les commerçants, les agriculteurs, les éleveurs, les transporteurs, les groupes d’autodéfense.
- Résultats
- Un retard accusé dans le maillage administratif des zones frontalières
Lors de nos premières recherches sur la question sécuritaire dans la commune de Bittou, le discours dominant sur la frontière était que celle-ci représentait la porte par laquelle s’infiltraient ou s’échappaient les individus qui posaient fréquemment des actes relevant du grand banditisme ou plus globalement de la criminalité transfrontalière sur le territoire de la commune. Cette situation constituait une résultante de l’absence de l’Etat ou la marginalisation des zones frontalières qui était constamment soulignée dans le discours de la population, y compris les représentants locaux de l’Etat. La précarité matérielle était relevée comme un facteur handicapant en termes de délivrance des services publics au niveau local. Concernant particulièrement les forces de défense et de sécurité qui ont les tâches régaliennes de contrôle et de sécurisation, celle-ci limite objectivement leurs capacités de production de la sécurité et leur faculté à satisfaire la demande sécuritaire des populations qui s’accroît. Comme nous l’a confié avec amertume un agent des forces de défense et de sécurité à Bittou en juillet 2018, « si le bandit est plus armé que la sécurité, ça c’est le revers ».
- La criminalité transfrontalière au quotidien
La situation géographique de la commune de Bittou à la frontière avec des pays comme le Togo et le Ghana et le faible contrôle de ces frontières, constituent des facteurs qui induisent l’insécurité. De surcroit, la circulation des armes y est particulièrement facilitée par la présence d’anciens et de récents foyers de conflits intercommunautaires dans la localité frontalière voisine de Bawku au nord-Ghana. Les attaques à mains armées perpétrées par des bandits venant le plus souvent du Ghana notamment demeure de ce fait l’un des problèmes cruciaux auxquels les forces de défense et de sécurité et la population font face. Selon un responsable des forces de défense et de sécurité, il existe de nombreuses pistes pour s’infiltrer à partir du Ghana ou y aller, ce qui rend la tâche facile aux délinquants qui peuvent commettre leur forfait et à traverser aisément la frontière. Le vol de bétail constitue l’un des visages de la criminalité transfrontalière dans la commune de Bittou et celle de Ziou. L’élevage est l’une des principales activités socioéconomiques des populations de ces communes frontalières qui abritent de ce fait des marchés de bétail à dimension régionale. Outre le vol de bétail, les braquages de points de transfert d’argent sont légion.
Dans la commune de Ziou, la forte circulation des devises ghanéennes dans le marché de Guelwongo pour les besoins de change particulièrement les jours de marché constitue un important facteur de risque sécuritaire. Au cours de l’année 2021, un braquage dont les auteurs seraient venus du Ghana s’est soldé par la mort de trois personnes à l’intérieur du marché.
Ces différents défis sécuritaires et l’absence de réponses adéquates ont conduit à l’émergence d’initiatives endogènes de production de la sécurité. Selon ce leader coutumier rencontré dans la commune de Bittou en 2018, l’avènement des groupes d’auto-défense koglweogo est liée tout simplement à la démission de l’Etat : « L’Etat n’assume pas ses responsabilités, ce qui a amené les gens à former les koglweogo ».
- La coproduction de la sécurisation des frontières comme solution pratique et endogène
Dans le village de Mogomnoré situé à 13 kms de la ville de Bittou et séparé de la frontière ghanéenne par le fleuve Nakembé, le groupe d’auto-défense local avait fait de la garde de l’accès au village et donc du territoire burkinabè son leitmotiv. Ces initiatives venaient s’ajouter à celles des forces de défense et de sécurité qui en fonction de la période de l’année procédaient à des patrouilles plus ou moins régulières à partir de la ville de Bittou jusqu’à la lisière du fleuve Nakambé en passant le village de Mogomnoré. En 2018, la présence des forces de sécurité était effective 24h sur 24 en saison sèche où la frontière était plus accessible avec une circulation entre les territoires ghanéen et burkinabè beaucoup plus importante à travers les parties asséchées du fleuve. Etant seulement séparés du Ghana par le fleuve Nakambé, nombre d’habitants de ce village se rendent dans les localités frontalières ghanéennes pour y faire le commerce ou s’approvisionner en produits divers à des coûts plus abordables. Ce commerce est pratiqué surtout pendant la saison sèche dans la mesure où en saison pluvieuse le village est coupé des localités voisines du Ghana à cause du niveau d’eau dans le fleuve. C’est pourquoi tous les villageois enquêtés en 2018 appelaient de leurs vœux à la construction d’un pont sur le fleuve.
Pendant la saison pluvieuse où la présence des FDS se réduit, les groupes d’auto-défense koglweogo prennent le relais. Dans la pratique, les membres des groupes d’auto-défense se déploient au niveau du fleuve en cas d’alerte pour filtrer les sorties ou les entrées par ce canal : « s’il y’a une attaque vers Bittou, on appelle les koglweogo ici pour leur dire de barrer la route au niveau du fleuve » (Conseiller du village). Pour ce leader coutumier du village, l’action des koglweogo a plus de portée que celle des forces de sécurité : « Les koglweogo sont mieux que la police. La police là c’est l’argent seulement ils prennent ».
Notons que ces groupes d’autodéfense qui se sont répandus dans les zones rurales pays depuis 2010 avaient officiellement pour rôle la protection de l’environnement (Compaoré et Bojsen, 2020). Les rapports entre ces groupes d’autodéfense formés essentiellement d’hommes vivant dans les villages ont oscillé, comme le montrent ces auteurs, entre contestations des institutions de l’Etat et collaborations avec ces mêmes institutions. L’Etat s’est en effet trouvé concurrencé dans son monopole de la violence légitime par les groupes de vigilantisme (Z. Soré et M. Côte, 2021). Avec la dégradation de la situation sécuritaire dans la commune de Bittou qui s’est traduite par de multiples attaques terroristes particulièrement au cours des années 2022 et 2023, on a assisté à une mutation des groupes d’auto-défense koglweogo en volontaires de défense de la patrie sous la houlette des autorités étatiques. Ceux-ci tiennent bien ainsi leur place à côté des forces de défense et de sécurité dans le contrôle des portes d’accès aux différentes localités situées à l’intérieur de la commune. A l’image des forces de défense et de sécurité, ces derniers procèdent à des contrôles d’identité et à un profilage des suspects après les attaques.
Dans la même période, les incursions terroristes au Togo voisin se sont multipliées tandis que le Ghana constitue une exception jusqu’à nos jours en termes d’avènement d’une attaque terroriste. Parallèlement à cette situation, la commune frontalière de Ziou et plus largement la région du Nazinon (ex région du centre-est) voisine du nord-Ghana s’affirme également comme une exception burkinabè dans la mesure où aucune attaque de type terroriste n’y a été enregistrée à ce jour. Dans cette commune, et sur les axes reliant cette commune à celle voisine de Zabré, les volontaires pour la défense de la patrie (VDP) ont érigé plusieurs postes de contrôle comme nous l’avons constaté lors de nos séjours de collecte de données dans cette zone en 2023 et 2025. Ils forment plus ou moins au quotidien des équipes mixtes avec les forces de défense et de sécurité. Les autorités traditionnelles rencontrées dans la commune mettent la stabilité de cette commune qui n’a pas enregistré d’attaque de type terroriste à ce jour sur le compte de l’action des VDP dont la plupart est issue du rang des groupes d’auto-défense qui se sont progressivement en partie mis dans le moule des autorités étatiques. Il faut remarquer qu’en dehors de la présence des VDP, nous avons noté également sur l’axe Zabré-Ziou la présence de Dozo, reconnus comme des chasseurs traditionnels dotés de pouvoirs mystiques, essayant de jouer également leur partition dans la sécurisation des zones rurales éloignées de la capitale ou des grandes villes.
Conclusion
L’avènement de la crise sécuritaire au Burkina Faso a rendu beaucoup plus urgente et cruciale la question du contrôle adéquat des frontières nationales. En comparant ainsi la situation des conditions de travail des forces de défense et de sécurité dans la commune de Bittou au moment de nos premières recherches à celle d’aujourd’hui, on peut remarquer que celle-ci a évolué en lien avec l’option du tout militaire dans laquelle est inscrite est en bonne place la participation des supplétifs de l’armée dans la lutte quotidienne contre le terrorisme. L’acquisition d’importants équipements de guerre a permis notamment une meilleure dotation des forces de défense et de sécurité dans les différentes régions du pays, de même que de nouvelles infrastructures abritant ces forces de défense et de sécurité ont été construites. Des opérations de grande envergure impliquant un nombre important de combattants dont des volontaires pour la défense de la patrie et l’intervention de moyens aériens ont été régulièrement menées dans la commune de Bittou. Dans la commune de Ziou où la menace terroriste est moins pesante, la même synergie d’action est observée et fonde une certaine quiétude au sein de la population.
Bibliographie
BELKACEM Graïne, 2020, « Les États faillis et le trafic d’armes au Sahel ». Revue des études de droit, vol. 7, No. 3, Septembre, p. 820-853.
CISSAO Yacouba, 2025, « Contrôle des frontières en contexte de crises sécuritaire et sanitaire : étude de cas dans les communes de Bittou et de Ziou (Burkina Faso) », Le Fromager, Vol 1, n° 3, Octobre, p. 397-415
HAGBERG Sten, KIBORA Ouhonyiouè Ludovic, BARRY Sidi, CISSAO Yacouba, GNESSI Siaka, KABORE Amado, KONE Bintou et ZONGO Mariétou, 2019, Sécurité par le bas : Perceptions et perspectives citoyennes des défis de sécurité au Burkina Faso, Uppsala University, 109 p.
SORE Zakaria, CÔTE Muriel, 2021, « Péril terroriste et reconfiguration des relations forces de défense et de sécurité (FDS) et groupes de vigilantisme au Burkina Faso » in ROUAMBA-OUEDRAOGO Valérie (dir.), Crise sécuritaire dans les pays du G5 Sahel. Comprendre pour agir. L’Harmattan Burkina Faso, p. 263-286.
WALTHER Junior Olivier, 2019, Frontières, sécurité et développement en Afrique de l’Ouest. No. 26, Éditions OECD, Paris, 36 p.

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