Stratégies et canaux de mobilisation des ressources pour la construction des mosquées dans la province du Boulgou

 

 

Dr Yacouba CISSAO

Socio-anthropologue, Chercheur au CNRST/INSS

cissaoyacouba@yahoo.fr

 

 

 

Introduction

 

La construction d’édifices religieux joue un rôle central dans la vie des communautés religieuses. Au Burkina Faso, les différentes conféssions religieuses mettent ainsi un point d’honneur à faire un certain maillage du territoire en termes de construction d’églises et de mosquées. Pour ce qui concerne les mosquées, les acteurs de leur édification sont divers. Un auteur comme Hodgkin (1990) souligne que le contrôle des mosquées ou leur construction représente une source de pouvoir au sein de la communauté islamique. Dans le cas du Sénégal par exemple, des travaux (Timera et al., 2016; Lavigne-Delville, 1990;  Daum, 1997) montrent que la construction des mosquées demeure l’une des modalités à travers laquelle se matérialise l’aide des migrants à leurs villages d’origine. En lien avec les différents enjeux sous-jacents à la réalisation des édifices religieux, des stratégies et canaux sont employés pour mobiliser les ressources financières et matérielles que cela requière. Ce document qui est issu d’un article scientifique publié en 2025 dans la Revue Science et Technique tente d’appréhender ces dimensions en se focalisant sur la construction d’une mosquée du vendredi et d’autres de moindre importance dans un village du département de Tenkodogo dans la province du Boulgou.

 

  1. Méthodologie

 

Sur le plan méthodologique, cet article de vulgarisation se fonde sur des données issues d’une recherche socio-anthropologique conduite entre décembre 2014 et décembre 2015. Les données proviennent également d’une observation directe, d’entretiens semi-directifs et de focus group réalisés avec des acteurs des mosquées (imams, membres du comité de gestion, fidèles) et des migrants de passage ou de retour à différentes périodes au cours des années 2018 et 2019.

 

  1. Résultats

 

  • La construction des mosquées: entre efforts collectifs et individuels

 

La construction d’édifices religieux, qui ne peut figurer parmi les missions régaliennes d’un État laïc à l’instar de la construction de centres de santé et d’écoles, ne peut être envisagée qu’à travers la dynamique de l’aide dans la sphère religieuse. Ainsi, en dehors des pays arabes ou des ONG qui financent couramment la construction de mosquées, l’alternative demeure l’engagement individuel et collectif des musulmans vis-à-vis de leur religion. En effet, dans le notre village d’étude, sur l’ensemble des dix-sept mosquées, il n’en existe que trois dont la construction a été financée grâce à l’aide provenant de pays comme le Koweït et l’Iran. En d’autres termes, toutes les autres mosquées ont été construites sur la base de cet engagement pris au nom de la religion par les fidèles, notamment les migrants plus aisés. L’entreprise de construction de mosquées est déterminée par le fait que les villageois ont conscience de l’existence d’une main extérieure plus ou moins prédisposée à soutenir un tel projet. Depuis la naissance de celui-ci, ses initiateurs intègrent donc l’effort des migrants comme une des modalités de financement de la construction de la mosquée jusqu’à sa matérialisation, comme le suggèrent les propos suivants de ce leader religieux:  « Au village ici, on ne peut pas dire qu’on a les moyens pour faire ce travail là, uniquement nous les villageois ; il faut trouver l’aide. Pour trouver l’aide il faut aussi toucher les enfants du village qui sont à l’extérieur » (S.M, 70 ans, premier imam de la nouvelle mosquée du vendredi, mars 2018)

 

  • Le réseau familial

 

L’une des stratégies privilégiées pour la mobilisation de l’aide financière des migrants demeure le réseau familial. Cela consiste, pour les résidents du village, à faire part aux fils du village vivant à l’étranger ou hors du village – le plus généralement par appel téléphonique – du projet de construction d’une mosquée pour laquelle un besoin d’aide est exprimé. La finalité de cet appel à soutien à travers les liens de filiation est de faire porter le message auprès des autres migrants originaires du village ou d’autres potentiels donateurs : «  Nous nous sommes concertés entre nous ici et nous avons chargé chacun dans sa famille de toucher celui [le membre de la famille] qui est à l’extérieur » (Z.A., 85 ans, imam de la mosquée du quartier Sanokima, mars 2018).

 

  • Un comité transnational de gestion de la mosquée

 

Dans le registre des stratégies employées par les religieux et les habitants du village, il est intéressant de noter que dans le cas de la construction de la grande mosquée du vendredi au centre du village, un « bureau de la mosquée » s’occupant de la gestion et incluant des migrants a été mis en place au cours de l’année 2014. Ces derniers, qui occupent des postes de « secrétaires chargés des relations extérieures » dans les villes ou pays d’accueil respectifs (Abidjan, Ouaga, Ghana et Italie), ont ainsi facilité la captation et la collecte de l’aide auprès des autres membres de leur communauté d’origine. Après la construction du bâtiment principal de la mosquée, qui a pris fin au cours de l’année 2016, ce dispositif de collecte de l’aide des migrants demeure actif dans la mesure où d’autres réalisations – notamment la construction d’un grand hangar annexé à la mosquée – visant à agrandir la capacité d’accueil de ladite mosquée étaient en cours lors de notre passage.

 

  • Le canal des associations de migrants

 

La dynamique associative (Bredeloup & Ba 1994) des migrants dans leur pays d’accueil demeure un facteur capital, en ce sens qu’il entretient la mécanique du don ou de l’aide aux populations de la communauté d’origine. Les propos suivants de cet « Ivoirien » en séjour au village illustrent une telle réalité : « Nous qui sommes en Côte d’Ivoire, on a des petites associations et on a souvent des réunions de famille. Ils [les villageois] appellent nos vieux qui sont là-bas ; on nous réunit maintenant et on nous demande de cotiser un peu pour venir aider les parents à pouvoir construire les mosquées » (M.O., 65 ans, migrant vivant en Côte d’Ivoire depuis 42 ans, mars 2018).

Les séjours plus ou moins réguliers des migrants au village sont bien souvent porteurs dans le domaine de l’aide à la construction ou à l’équipement des mosquées. D’autant plus qu’au cours de leur séjour, ces derniers se rendent dans ces mosquées pour y effectuer les prières quotidiennes. Un migrant en séjour dans le village peut ainsi s’émouvoir des conditions de pratique de sa religion par les habitants de son quartier ou par ses parents. Séance tenante, il peut apporter une aide financière ou une aide matérielle. Il peut également, de retour dans son pays d’accueil, faire parvenir de l’argent pour la construction de la mosquée par le biais d’un membre de sa famille au village ou par le biais d’un autre migrant qui rentre au village pour un séjour.

 

  • L’apport local

 

Il est important de noter que la mobilisation de l’aide financière des migrants n’est pas exclusive d’un effort financier des résidents du village, même si de toute évidence celui-ci n’est pas comparable aux moyens financiers provenant de l’étranger. C’est le cas ici pour la construction de la grande mosquée du vendredi dans le village d’étude : « La contribution des gens de l’extérieur valait cinq millions [francs CFA]. Et le village, un million et quelques » (O.M, 54 ans, secrétaire adjoint dans le bureau de la nouvelle mosquée du vendredi, mars 2018). Quand bien même la cotisation des résidents est moins importante vu la modicité des montants sollicités par ménage ou par personne, elle a le mérite de susciter une certaine sensibilité chez les migrants qui séjournent au village ou qui, depuis leur zone d’accueil, en ont eu un écho. La cotisation des résidents joue alors une fonction de médiatisation du projet relatif à la construction ou à l’équipement d’une mosquée. Dans le passé, les modestes moyens financiers et matériels provenant des résidents eux-mêmes par le biais des cotisations ont permis la construction de mosquées – en matériaux non durables et/ou de petite capacité d’accueil – dans le village. De nos jours cependant, ces cotisations des résidents dont le montant est le plus souvent laissé à leur propre appréciation paraissent plus symboliques. Leur apport se fait principalement à travers la collecte des agrégats au village et leur investissement physique comme main-d’œuvre sur le chantier de la mosquée.

 

Conclusion

 

Dans la religion musulmane, chaque croyant est plus ou moins astreint à l’aumône (zakât) qui se fait dans la mesure des moyens dont il dispose et il est établi que les bénéfices demeurent à la hauteur de l’effort consenti. Dans une certaine mesure, les mosquées voient le jour et fonctionnent selon le principe du don, de la zakât qui est l’un des cinq piliers de l’islam. Il est assez significatif que la mobilisation des ressources financières aussi bien auprès des habitants que des migrants issus du village soit plus rapide quand il est question de construire une mosquée que lorsqu’il s’agit d’autres types d’investissements dans le village. Cela s’explique par le fait que « ce geste va directement vers Dieu et tout le monde va retourner chez Dieu » et qu’« on pense tous à l’Au-delà. » (S.M., 70 ans, premier imam de la nouvelle mosquée du vendredi, mars 2018). Un tel discours, dominant dans l’espace religieux, constitue une force de mobilisation des ressources financières, particulièrement auprès des migrants originaires du village qui sont perçus comme appartenant à une catégorie sociale privilégiée.

 

Bibliographie

 

Bâ A., & Coquet I., 1994, « Les initiatives des émigrés du fleuve Sénégal installés dans le

Nord-Pas-de-Calais », Hommes et Terres du Nord4, p. 166-171.

 

Cissao Y., 2025, « Pluralisme religieux et cohabitation au sein de la sphère islamique dans le village de Sabtenga, province du Boulgou (Burkina Faso) » Science et Technique, Juillet-Décembre 2025

 

Cissao Y., 2021, « Les logiques de l’aide des migrants à la construction des mosquées à Sabtenga, province du Boulgou (Burkina Faso) », in DEGORCE A. et KIBORA O. L. (Ed.), Migrations, mobilités et réseaux religieux au Burkina Faso, AMALION, p. 19-37  

 

Daum C., 1997, « Immigrés acteurs du développement : Une médiation sur deux espaces »,

Hommes & migrations, 1206, p. 31-42.

 

Hodgkin E, 1990, « Islamism and Islamic research in Africa », Islam et sociétés au sud du

Sahara, 4, p. 197-262.

 

Lavigne-Delville P., 1990, « Les projets de développement initiés par les migrants », Hommes

et Migrations1131, p. 25-27.

 

Timera M. B., Diongue M., Sakho P., Diene A N. et Diagne A., 2016, « Islam et production

des espaces urbains au Sénégal : les mosquées dans la périphérie de Dakar (Keur Massar

extension) », Germivoire, 4, p. 226-244.

 

 

 

 

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