[Chronique] Nigeria: la police, c’est pas le père Noël!

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A l’approche de Noël, Lagos renoue avec les embouteillages pour une raison insolite. Ne vous y trompez pas, la capitale économique du Nigeria n’est pas prise d’assaut par les pères Noël, les héros du moment restent sagement dans les centres commerciaux. Non, ce sont d’autres hommes en tenue de travail voyante qui font parler d’eux. Le chanteur Fela avait baptisé certains hommes en uniforme « Yellow fever » (fièvre jaune) en raison de la couleur de leur tenue, mais aussi et surtout du fait de leur talent inégalé pour rançonner les populations.

Les policiers forment des barrages sur les principaux axes de la ville, notamment le Third Mainland bridge, le plus long pont d’Afrique celui qui relie les îles (quartiers résidentiels) au Mainland (continent). Les pandores arrêtent les véhicules afin de réclamer leurs « christmas gift », leurs « cadeaux de Noël ». Les Lagotiens ne plaisantent pas avec les cadeaux. Presque tout le monde en réclame, même de parfaits inconnus. Lagos est devenu un temple du « consumérisme ». Il faut coûte que coûte l’honorer, même en période de vaches maigres.

Afin de se remettre en fonds, des policiers n’hésitent pas à monter de force dans les véhicules. Ils décident de s’asseoir à l’intérieur des voitures jusqu’à ce que le passager donne de l’argent. Parfois s’il met trop de temps à penser à jouer les bienfaiteurs, les forces de l’ordre le mettent en joug. Plus déplaisant encore, il arrive que les policiers louent leurs uniformes à des bandits. Ces derniers ne se contentent pas d’un pourboire. Ils volent le véhicule après en avoir chassé le propriétaire ou alors ils l’enlèvent. On assiste à une recrudescence des kidnappings avant Noël.

Les policiers louent-ils leurs uniformes à des bandits ou font-ils le travail eux-mêmes ? Personne n’est vraiment sûr de rien. Mais pour la paix des esprits mieux vaut continuer à croire que les pires forfaits sont commis par des « faux policiers ». Pendant que les « vrais policiers » veillent sur la tranquillité des honnêtes citoyens. En tout cas, les uniformes ne sont pas de nature à rassurer les Lagotiens. Surtout pas pendant cette période sacrée où l’on rencontre de drôles de pèlerins sur les routes.

« Je me suis juré de ne jamais sortir de chez moi avant Noël », dit un vieux Lagotien. Un engagement difficile à tenir. A moins de faire comme beaucoup, carrément prendre la fuite : aller à l’étranger ou dans son village d’origine. A l’approche du jour J, Lagos et son ciel laiteux, voilé d’un linceul d’harmattan, paraît bien calme et vide.

Elu en 2015, le président Buhari avait des faux airs de père Noël. Il en a l’âge (74 ans) et le goût pour les promesses. Même si rapidement, il a davantage pris des allures de père fouettard. La corruption c’est fini ! Tel était son leitmotiv avant et après l’élection. Depuis il ne cesse de le répéter. Arc-bouté sur ses certitudes. « No Pasaran ! » la corruption. Sauf que dans la pratique, les Nigérians constatent qu’elle gagne du terrain. Pour une raison simple. Avec l’entrée en récession en 2016 et la diminution des rentrées budgétaires du fait de la baisse des cours du pétrole et de la réduction de la production de brut, l’Etat est à sec. La majorité des trente-six Etats de la Fédération sont bien incapables de payer leurs fonctionnaires.

Les footballeuses nigérianes, les Super Falcons qui ont remporté le 3 décembre face au Cameroun la Coupe d’Afrique des Nations ont occupé pendant deux semaines un hôtel d’Abuja pour protester contre le non-paiement de leurs primes de match. Elles ont fait grève pendant quinze jours et ont refusé de regagner leurs domiciles. Symbole fort dans un pays où le football est sacralisé.

Dans toute la Fédération, des centaines de milliers de fonctionnaires ne sont pas payés régulièrement. Entre autres des policiers et des militaires. Comment dès lors s’attendre à un comportement exemplaire de leur part ? Surtout à l’approche de Noël où les enfants réclament des cadeaux dignes de ceux qu’ils voient à la télévision. Sur les routes, mais aussi dans les aéroports ou les administrations, les demandes de pots-de-vins s’expriment de plus en plus ouvertement. La corruption est sans doute le sujet de conversation numéro 1. Bien avant le football ou d’autres passions nationales telles que Nollywood ou le monde des people.

Le Guardian de Lagos, le quotidien le plus réputé, publie une bande dessinée humoristique tous les jours : elle est presque invariablement consacrée aux détournements de fonds. Le dessinateur ne semble pas se lasser de traiter quotidiennement de ce même sujet. Son public ne semble pas non plus souffrir du comique de répétition. Il est vrai que le dessinateur trouve à chaque fois nouveau motif de caricature entre le sénateur obèse, l’homme d’affaires repu et le policier assoiffé de richesses.

Pendant ce temps-là, le chef de l’Etat continue à affirmer qu’il va construire un nouveau pays, libéré des démons de la corruption. Ses détracteurs lui rétorquent qu’avant de s’atteler à cette noble tâche, il ferait bien de remplir les caisses de l’Etat et de veiller à ce que les fonctionnaires – petits et grands – soient payés. Même les ministres des Etats de la Fédération courent souvent après leurs émoluments pendant des mois, voire des années.

A l’approche de Noël, même les plus aisés d’entre eux paniquent. Comment vont-ils payer les frais de scolarité de leurs enfants en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis ou en Suisse ? S’ils ne trouvent pas rapidement quelques dizaines de milliers de dollars, leurs rejetons seront renvoyés de l’école. Et ils passeront un Noël bien morose. Avant Noël, plus qu’à aucun autre moment de l’année les détournements s’accélèrent.

Les discours assénés par Buhari, depuis Aso Rock (palais présidentiel) se perdent dans le lointain. Ils apparaissent de plus en plus comme des vœux pieux. Il y a bien longtemps que les Nigérians ont cessé de croire au père Noël.

rfi

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