La circulation des produits prohibés entre le Burkina Faso et ses pays voisins du Togo et du Ghana : étude de cas dans les communes de Bittou et Pô

 

 

Dr Yacouba CISSAO

Socio-anthropologue, Chargé de recherche au CNRST/INSS

cissaoyacouba@yahoo.fr

Dr Ludovic O. KIBORA

Anthropologue, Directeur de recherche au CNRST/INSS

kludovic@yahoo.fr

Introduction

Ce document de vulgarisation est tiré d’un article scientifique publié en Novembre 2025 dans la Revue Africaine des Sciences Sociales Pensées Genre Penser Autrement.

Au Burkina Faso, les communes frontalières du Ghana et du Togo comme celle de Pô au centre-sud et celle de Bittou au centre-est constituent des portes d’entrée d’un volume important de marchandises dont certaines sont introduites de manière frauduleuse. Des produits comme l’alcool frelaté, les stupéfiants ou le carburant dont le trafic et/ou la consommation sont interdits transitent par ces espaces frontaliers avant de circuler à l’intérieur du pays. Différents canaux et dispositifs sont mobilisés par les acteurs pour faire circuler ces produits prohibés. Cette circulation de produits prohibés est d’autant plus problématique qu’elle a une incidence sur la bonne marche de la société au sein de laquelle leur utilisation ou leur consommation engendre des comportements déviants. Dans les communes en question, les acteurs locaux, qui se recrutent majoritairement parmi les jeunes en proie au chômage, font du trafic et du commerce de ces produits un véritable gagne-pain. En rappel, 64,2% de la population du Burkina a moins de 24 ans et 77,9% a moins de 35 ans. Le taux de chômage est quant à lui estimé à 7,1% et il est plus accentué en milieu urbain (10%) qu’en milieu rural (5,1%). (INSD, 2020). L’objectif de cet article est de décrire et analyser, à partir de recherches conduites dans les communes de Bittou et Pô, la circulation des produits prohibés issus du trafic transfrontalier entre le Burkina et des pays voisins que sont le Togo et le Ghana.

Notons que la ville de Bittou, chef-lieu de la commune, a une position stratégique car située à treize kilomètres de la frontière du Ghana et à trente-neuf kilomètres de la frontière du Togo. Distante d’environ deux cent cinquante kilomètres de la capitale du pays, elle est traversée par la route nationale 16 qui relie directement Ouagadougou aux frontières du Togo et du Ghana.

La ville de Pô, chef-lieu de la province du Nahouri, est quant à elle située à 147 kilomètres au Sud-Est de Ouagadougou la capitale du pays, à une vingtaine de kilomètres de la première ville-frontière du Ghana.

  1. Méthodologie

Cet article se fonde sur une observation directe ainsi que des entretiens semi-directifs et informels réalisés auprès de différentes composantes de la population (vendeurs de rue, commerçants, agriculteurs, éleveurs, transitaires, élus municipaux, leaders coutumiers, fonctionnaires, policiers, gendarmes, etc.) dans les communes de Bittou et Pô dans le cadre de recherches socio-anthropologiques conduites entre les années 2018 et 2021. En plus de ces données, les articles de presse traitant du trafic de produits prohibés ont été également mis à contribution.

  1. Résultats

Le trafic transfrontalier de produits divers est un secteur économique qui tire sa prospérité de la précarité dans laquelle est engluée une grande partie des populations des zones frontalières. Lorsque les services sociaux de base ne sont pas suffisamment déployés ou que l’Etat est absent dans les zones frontalières, cela laisse libre cours à une invention de pratiques par les populations qui cherchent alors à tirer le meilleur parti de la position géographique de leur espace de vie. Le trafic transfrontalier demeure dans cette logique une activité économique qui reste à la portée desdites populations, surtout lorsqu’elles sont composées majoritairement de jeunes. Conformément aux statistiques nationales indiquées plus haut, la majeure partie de la population est jeune et désœuvrée dans les communes en question. On se situe également dans un contexte où l’agriculture qui demeure la principale occupation dans les milieux en question attire de moins en moins les jeunes qui essaient d’échapper au contrôle des aînés en s’orientant vers des activités jugées plus rentables et à même de procurer une certaine indépendance. La force physique dont ils disposent est alors investie dans des activités comme l’orpaillage ou la contrebande qui est le plus souvent présentée comme une activité par défaut. Les compétences qu’elle requiert sont principalement l’endurance et la capacité à conduire par exemple des moyens de locomotion tels que la motocyclette ou le tricycle sur des pistes à travers la brousse. L’orpaillage quant à lui représente un secteur fortement demandeur de produits tels que les explosifs, le cyanure mais aussi les stupéfiants et l’alcool frelaté, etc. Les sites d’orpaillage constituent de ce fait des lieux par excellence de circulation et de consommation de stupéfiants et d’alcool. Il est d’ailleurs admis que dans des domaines d’activités qui requièrent de grandes capacités physiques comme l’orpaillage et le transport, les stupéfiants s’imposent comme un outil de travail. Dans la pensée collective, les jeunes et les stupéfiants font bon ménage. Les propos suivants de ce fonctionnaire retraité à Bittou montrent une telle perception :

« Les personnes âgées si elles essaient de parler, y’a certains jeunes à peine s’ils ne menacent de te boxer. Donc ça fait qu’on se résigne, on voit la chose comme ça. Vraiment c’est déplorable pour l’avenir de la société (…). C’est un monde nouveau, et puis y’a beaucoup de méfaits, c’est à dire les boissons frelatées, les stupéfiants qui n’existaient pas, les jeunes se donnent beaucoup à ça ».

 

Si les vendeurs et les consommateurs de drogue ou de stupéfiants ne sont pas établis dans des lieux bien précis, il reste que le cadre scolaire est perçu par les interlocuteurs comme un espace privilégié de vente et de consommation. Selon ce conseiller municipal de la commune de Bittou, « la drogue se consomme dans les écoles et il y’a des dealers dans ces écoles ».

  • Le trafic de produits prohibés dans les espaces frontaliers

En matière de contrebande, la connaissance parfaite de la géographie de la région est une compétence indispensable dont doivent disposer ceux qui sont commis (majoritairement des jeunes gens) à la tâche de transport des produits illicites à travers la frontière. On note d’emblée que cette contrebande profite largement de l’existence dans les espaces frontaliers de forêts constituant un refuge idéal pour les contrebandiers dont le principal mode opératoire est de contourner les postes de contrôle douanier par des pistes dérobées. Dans certaines communes frontalières, les cours d’eau font souvent office de frontière naturelle avec le pays voisin comme c’est le cas dans la commune de Bittou. Dans certaines parties de la commune, le fleuve Nakembé qui constitue le point de séparation des du Burkina et du Ghana est utilisé au quotidien comme une importante passerelle entre ces deux pays. En saison sèche, le fleuve dont les eaux tarissent à certains endroits, est intensément utilisé comme porte d’entrée ou de sortie du territoire burkinabè et du territoire ghanéen, empruntable à pied ou avec des moyens de locomotion tels que les motocyclettes, les tricycles et même les véhicules.

Outre ces canaux, une tout aussi importante part des produits de contrebande emprunte – à l’aide des moyens de locomotion cités ci-dessus – les axes routiers utilisés dans le trafic normal des marchandises mais ceux-ci sont ingénieusement dissimulés pour échapper à la vigilance des agents présents dans les nombreux postes de contrôle érigés sur ces axes. La faculté des acteurs de la contrebande à trouver des arrangements avec les agents de contrôle est une ressource capitale qui fonde la prospérité dans ce milieu. Différents types de produits tels que les stupéfiants, l’alcool, le cyanure, les explosifs, le ciment, le carburant, etc. sont introduits sur le territoire burkinabè suivant ces modus operandi.

  • Les opérations de saisie de produits prohibés

On peut remarquer que les stupéfiants font régulièrement l’objet de saisies qui sont rapportées dans les médias. Ces saisies ne représentent visiblement qu’une partie infime du volume qui fait l’objet quotidiennement de trafic à travers les frontières. Un cas relayé à travers les médias est intervenu en juin 2022 dans la localité de Mogandé dans la commune de Bittou où cent kilogrammes de cocaïne introduits à partir de localités voisines au Ghana ont été saisis chez des habitants. Dans de nombreux cas, les trafiquants choisissent de prendre la fuite en abandonnant leur chargement lorsqu’ils se sentent démasqués. Ils traversent facilement alors la frontière pour échapper aux forces de sécurité burkinabè. Comme dans le cas de la cocaïne saisie à Mogandé, c’est également à partir du nord-Ghana voisin qui a été le théâtre de conflits armés interethniques que des armes circulent aisément et entretiennent le grand banditisme dans l’espace frontalier de Bittou.

L’ampleur du phénomène de la circulation et de la consommation de stupéfiants dans la commune de Pô a contraint les autorités nationales à créer de façon inédite en 2017 une antenne régionale de l’Unité anti-drogue dans la ville. Dans le viseur de cette police anti-drogue ne figurent pas seulement les revendeurs et les acheteurs mais également des producteurs locaux de types de drogue tels que le chanvre indien et le cannabis. Les graines pour leur culture sont acquises dans les localités frontalières du Ghana avant d’être cultivées de manière clandestine au milieu de champs pour être ensuite récoltés et vendus localement ou au-delà de la frontière. En octobre 2020, les médias informaient ainsi l’opinion publique de la découverte de deux champs de cannabis dissimulées dans d’autres cultures dans une zone difficile d’accès dans un village de la commune de Pô. Ces produits prohibés qui font désormais partie du quotidien des populations des espaces frontaliers, alimentent le secteur informel qui apparaît vital pour celles-ci.

Conclusion

L’ampleur en termes de circulation et de consommation de ces produits prohibés dans les espaces frontaliers et à l’intérieur du pays indique que ces pratiques gagnent progressivement du terrain. Elles sont partie intégrante d’une économie informelle qui est largement investie par les populations confrontées au chômage et à la précarité. Ces espaces frontaliers apparaissent le plus souvent comme des zones de non-droit en raison de l’absence relative de l’Etat, ce qui en définitive facilite la circulation des produits prohibés entre le Burkina et ses pays voisins. Dans le contexte de crise sécuritaire à laquelle est confronté le pays, le risque que ces activités économiques illicites soient investies également par les groupes terroristes est très présent.

Bibliographie

Cissao, Y. & Kibora O. L., « La circulation des produits prohibés entre le Burkina Faso et ses pays voisins (Togo, Ghana) », Revue Africaine des Sciences Sociales Pensées Genre Penser Autrement, Novembre 2025

Cissao, Y., « L’incivisme vu par le bas : étude de cas dans la commune de Bittou dans la province du Boulgou (Burkina Faso) », Annales de l’Université Joseph Ki-Zerbo, Série A, vol. 028, Juillet 2020

Commune de Bittou, 2015, Plan de développement local

Commune de Pô, 2010, Plan de développement local

INSD., 2020, « Recensement général de la population et de l’habitation (RGPH) 2019 ».

PaxSahel., 2021, « Burkina-Ville de Pô : La drogue ‘’gangrène’’ la cité » ( https://paxsahel.com/2021/01/20/burkina-ville-de-po-la-drogue-gangrene%E2%80%B3-la-cite/ , consulté le 15 septembre 2021)

 

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