Cet article s’intéresse à la place de la volonté de collaborer dans la société créée de fait. Il présente les caractéristiques de cette volonté dans la société créée de fait ainsi que son importance pour la caractérisation de cette société. L’article est une synthèse issue d’une réflexion scientifique intitulée « L’affectio societatis dans la société créée de fait » publié dans la Revue Internationale de Droit et de Sciences Politiques (RIDSP)[1].
Introduction
L’Acte Uniforme révisé relatif au Droit des Sociétés Commerciales et au Groupement d’Intérêt Economique (’AUSCGIE) du droit OHADA a définit la société créée de fait à l’article 864. Il y a société créée de fait, lorsque deux ou plusieurs personnes physiques ou morales se comportent comme des associés sans avoir constitué entre elles l’une des sociétés reconnues par l’Acte uniforme révisé. La société créée de fait correspond à une situation dans laquelle deux ou plusieurs personnes exercent en commun une activité sans savoir que dans l’exercice de cette activité, ils se comportent comme des associés. Ainsi, la société créée de fait, généralement, les personnes concernées se comportent à l’égard des tiers comme des associés sans le savoir[2]. La reconnaissance de la société créée de fait doit obéir aux conditions requises pour la reconnaissance du contrat de société. L’article 1832 du Code civil français de 1804 définit le contrat de société en précisant que « la société est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent de mettre quelque chose en commun, dans la vue de partager le bénéfice qui pourra en résulter »[3]. Le Code Civil ne mentionne pas expressément le critère de l’affectio societatis. Mais la doctrine et la jurisprudence ont pu déduire implicitement l’exigence de cette volonté de collaborer au succès de l’activité pour la validité du contrat de société. L’affectio societatis constitue l’élément intentionnel de la société. Ainsi, il permet de déterminer l’intention de chaque prétendu associé. Le juge pour accorder ou attribuer la qualité d’associé d’une société créée de fait va s’atteler d’abord à déterminer l’existence réelle d’une volonté de collaborer au succès de l’entreprise commune.
Les analyses doctrinales combinant à la fois l’affectio societatis et la société créée de fait étant rare, il était alors impératif de procéder à l’analyse de la place que l’affectio societatis en tant que critère de validité du contrat de société occupe dans la société créée de fait.
La question de l’existence, d’une société créée de fait se pose généralement lorsqu’il y a une mésentente entre les personnes concernées par l’activité et l’un d’eux saisit le juge afin qu’il reconnaisse l’existence d’une société créée de fait entre eux. C’est le cas également lorsqu’un tiers avec qui ces personnes contractent décide de saisir le juge pour faire prononcer l’existence d’une société créée de fait entre les personnes avec qui il était en relation. L’affectio societatis en tant que volonté de collaborer sur un pied d’égalité est alors un élément indispensable à la reconnaissance de la société créée de fait (I). Toutefois, il est impératif de rapporter la preuve de l’existence de ce critère (II).
- L’affectio societatis, un élément indispensable à la reconnaissance de la société créée de fait
L’affectio societatis définit comme la volonté de collaborer à la gestion de l’entreprise commune sur un pied d’égalité est un critère indispensable à la reconnaissance et à l’existence de la société créée de fait. La participation à la gestion de l’œuvre commune doit réellement exister.
Dans la société créée de fait, les personnes n’ont pas la conscience de fonctionner comme une société et parfois n’ont même pas voulu être des associés. Toutefois, cette ignorance ne fait pas fi de l’exigence pour chacune des personnes de participer à la gestion de l’activité commune. Ainsi, l’analyse du comportement va permettre d’attribuer ou non la qualité d’associé d’une société créée de fait à une personne. Il est alors recherché le degré d’implication des prétendus associés dans la gestion de l’entreprise commune. Pour ce faire, participer à la gestion suppose une certaine action, comme la prise d’initiative permettant la réalisation de l’activité commune.
La Cour d’Appel de Ouagadougou dans un arrêt rendu en 2006 a reconnu l’existence d’une société créée de fait après avoir caractérisé au préalable que chacun des associés a participé à la gestion de l’activité[4]. C’est dans le même sens que la Cour de Cassation française exige que les juges du fonds relèvent au préalable l’existence d’une intention de s’associer avant toute reconnaissance d’une société créée de fait.[5]. Toutefois, il est important de préciser que la participation à la gestion de l’activité commune doit se faire de façon égalitaire. Ce caractère égalitaire de l’affectio societatis est cependant discuté au sein de la doctrine. Certains auteurs considèrent qu’« il est impossible de faire de cette égalité des associés, le critère universel de l’affectio societatis »[6]. Il doit cependant exister une certaine indépendance dans la gestion des affaires sociales[7]. En droit OHADA, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) avait rappelé dans un arrêt rendu en 2017, que « la simple apparence ne peut suffire à conclure à l’existence d’une société créée de fait. En effet, l’existence d’une telle société résulte de l’affectio societatis qui est la volonté de s’associer et de participer au projet commun sur une base égalitaire »[8]. La volonté de collaborer au succès de l’activité sur un pied d’égalité doit être permanente. L’existence de la volonté de collaborer ensemble au succès de l’entreprise commune doit être identifiée au moment même de l’accord, donc au commencement des activités et au cours de la vie sociale[9]. Ainsi, dans le processus de reconnaissance de la société créée de fait, l’affectio societatis sera examiné dès le début des activités et durant toute la durée de l’activité. Ainsi, la volonté de s’associer doit « perdurer aussi longtemps que dure la société »[10]. L’exigence de l’affectio societatis dans la qualification de la société créée de fait revient à exiger une « volonté d’équilibre entre les différents associés ». Pour ce faire, la collaboration sur un pied d’égalité renvoie à l’exigence d’une certaine indépendance des associés[11].
Tout compte fait, il est surtout indispensable de rapporter la preuve de l’existence réelle d’une volonté de collaborer.
- L’affectio societatis, une preuve incontournable
Dans le processus de reconnaissance de l’existence de la société créée de fait, il est indispensable de démontrer l’existence de cette volonté de collaborer sur un pied d’égalité au succès de l’entreprise commune. L’affectio societatis peut être prouvé par tous moyens. Pour ce faire, des éléments explicites ou implicites peuvent permettre d’attester de l’existence de ce critère essentiel à la caractérisation de la société créée de fait. La Cour d’Appel de Ouagadougou a pu déduire l’existence d’une volonté réelle de collaborer à partir des preuves des correspondances échangées entre prétendus associés[12]. Ces correspondances prouvent l’implication des prétendus associés à la gestion de l’entreprise commune et permettent d’écarter l’existence d’un lien de subordination. Dans le même sens, la Cour suprême de Côte d’Ivoire a quant à elle, retenu que les nombreux voyages à l’étranger effectués par les parties permettent de déterminer leurs volontés de collaborer au succès de l’entreprise commune sur un pied d’égalité.
La preuve de l’existence de la société créée de fait peut-être rapporté par la déclaration des parties et des témoins. On peut alors déduire qu’il en est de même pour le critère de l’affectio societatis[13]. Toutefois, la preuve de l’existence de cet élément intentionnel va conduire à recourir dans certaines situations à des faisceaux d’indices.
La reconnaissance de l’existence d’une société créée de fait revient au juge. Le juge doit alors procéder à l’appréciation des éléments de preuve avant de reconnaître ou non l’existence de la société créée de fait[14] . Le juge procède généralement à « une expertise des faits conduite par l’exercice d’une casuistique juridique »[15]. Dans un arrêt, la CCJA réaffirme l’importance pour les juges du fond d’apprécier souverainement les faits afin de déterminer l’existence ou l’inexistence d’une société créée de fait[16].
Généralement, la demande de reconnaissance de l’existence d’une telle société a pour principale objectif de régler les droits patrimoniaux résultant de l’exercice commune de l’activité. Pour ce faire, en droit OHADA la réunion des conditions requises pour le contrat de société, et particulièrement de l’affectio societatis va permettre au juge de reconnaitre l’existence d’une société créée de fait. Cette reconnaissance va alors conduire à l’application à la société créée de fait du régime juridique de la Société en Nom Collectif (SNC). Ce qui implique de ce fait que toutes les personnes reconnues comme étant associé dans une société créée de fait sont responsables solidairement et indéfiniment de la dette de la société. La reconnaissance de la société créée se fait alors à titre de sanction.
Toutefois, lorsque le juge estime que le critère de l’affectio societatis est absent ou a disparu au cours de l’activité, il ne va pas reconnaître l’existence de la société créée de fait. Dans ces circonstances, un prétendu associé peut néanmoins saisir le juge pour demander une dissolution de la société compte tenu du fait que la disparition de l’affectio societatis entraine une mésentente qui ne permet plus un fonctionnement de l’entreprise[17]. Sans omettre que la disparition de l’affectio societatis peut conduire le juge à procéder à une requalification de la relation entre les parties.
Conclusion
La volonté de collaborer sur un pied d’égalité demeure un élément capital pour la caractérisation de la société créée de fait. De ce fait, lorsque l’on décide de mener des activités, il est impératif de s’assurer de l’existence d’une volonté réelle de collaborer sur un pied d’égalité de chacune des personnes concernées. C’est un critère indispensable dans la société créée de fait. La doctrine et la jurisprudence accorde une place importante à ce critère qui n’a pas été expressément prévu par le législateur communautaire. Il appartient cependant à celui qui réclame la reconnaissance d’une société créée de fait entre des personnes de rapporter les éléments de preuve du contrat de société et donc du critère de l’affectio societatis.
Diane Horelie PALGO
Attaché de recherche, INSS/CNRST
Docteur en droit privé et sciences criminelles. Email : paldiho@yahoo.fr
[1] PALGO Diane Horelie, « L’affectio societatis dans la société créée de fait », RIDSP, Vol 4, n°12, Décembre 2024, pp. 328-353, Disponible sur : https://revueridsp.com/
[2] DESMORIEUX Éric « Société de fait, société en participation et société créée de fait : attention à la distinction ! », Petites affiches, n°4, n° PA199900402, 06/01/1999, p. 7.
[3] Code civil de 1804. Ce code civil est toujours en vigueur dans la plupart des États membres de l’OHADA
[4] Cour d’appel de Ouagadougou, Chambre civile et commerciale (Burkina Faso), Arrêt n°86 du 21 avril 2006, ADOKO Sessinou Bernard c/ NACOULMA Désiré, YANOGO B. Michael, SONGNABA/COMPAORE Claudine, Ohadata J-09-24, www.ohada.com
[5] Cf. sur ce point, SOPHIE Noémie, « De l’existence de la société créée de fait en l’absence de pertes », Bulletin Joly sociétés, n°12, p. 1279 ; Cass. 1ère Civ. 12 mai 2004, n°01-03909, Y. C/X/, n°701 FSPB.
[6] CHAMPAUD Claude, « Société créée de fait. Définition, affectio societatis », RTD. Com., 1992, p. 812.
[7] TCHOTOURIAN Ivan, Vers une définition de l’affectio societatis lors de la constitution d’une société, LGDJ, Lextenso éditions, 2011, Paris, p. 563, § 899.
[8] NSIE Étienne « Les éléments constitutifs de la société créée de fait. CCJA, 1re ch., 29 juin 2017, n°142/2017 », L’Essentiel droits africains des affaires, n°2 Février 2018, p. 4.
[9] LECOURT Arnaud, « L’affectio societatis peut encore jouer les troubles fêtes ! », RTD. Com., 2021, p. 595.
[10]REBOUL Nadège, « Remarques sur une notion conceptuelle et fonctionnelle : l’affectio societatis » Revue des sociétés, 2000., p. 425.
[11] MARMISSE Anne, « L’affectio societatis : pour le maintien d’un concept fonctionnel », Revue des sociétés, 2020, p. 212.
[12] Cour d’appel de Ouagadougou, Chambre civile et commerciale (Burkina Faso), Arrêt n°86 du 21 avril 2006, ADOKO Sessinou Bernard c/ NACOULMA Désiré, YANOGO B. Michael, SONGNABA/COMPAORE Claudine, Ohadata J-09-24, www.ohada.com
[13] CA Dakar, arrêt du 20 février 2003, Gueye c/Gueye, Ohadata J-03-147.
[14] FENEON Alain, Droit des sociétés en Afrique (OHADA), LGDJ Lextenso, 3ème édition, Paris La Défense 2022, p. 1007, § 2183.
[15] TCHOTOURIAN Ivan, op.cit., p. 412, § 684.
[16] CCJA, 3e ch., 30 avr. 2020, no 160/2020, n° 141/2020 : LeDaF déc. 2020, n° 113q1, p. 2, note E. NSIÉ.
[17] Article 200-5 de l’AUDSCGIE : La société prend fin : 5°) par la dissolution anticipée prononcée par la juridiction compétente, à la demande d’un associé pour juste motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé ou de mésentente entre associés empêchant le fonctionnement normal de la société.
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