Pourquoi les ministres des affaires étrangères ont mal au ventre en Afrique ?

A force d’être témoins ou acteurs de décisions très importantes prises lors des sommets sous-régionaux ou continentaux, les ministres des affaires étrangères finissent par attraper pour certains des ulcères gastriques et pour d’autres de la tension artérielle. Et les moins chanceux sont affectés par les deux pathologie à la fois !

« J’ai passé six années comme ministre des affaires étrangères de mon pays. Je peux vous dire que pendant ces six années j’ai tellement avalé de couleuvres que j’ai fini par attraper des maux de ventre chroniques », confiait en janvier l’ancien chef de la diplomatie d’un pays sahélien de passage à Abidjan.

Entre ordres et contre-ordres sans queue ni tête des chefs d’Etat, les ministres des affaires étrangères accumulent colère, révolte, ressentiment et stress ; ce qui se transforme en pathologies. En atteste ce « drame » vécu en 2010 par les quinze ministres des affaires étrangères de la Communauté économiques des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

« Nous avons soumis, rapporte un des malheureux ministres, au sommet des chefs d’Etat à Abuja, un texte qui autorise l’intervention militaire de la Cedeao dans un Etat membre lorsque la gravité de la situation l’exige. Nous y avons clairement spécifié que l’opération militaire peut être engagée à l’initiative du président de la Commission, après avis favorable du président en exercice. Les chefs d’Etat ont signé le texte sans modification et sont rentrés chez eux. » La vérité se trouve dans ce que ne dit pas ce ministre qui s’exprimait sous couvert de l’anonymat : les chefs d’Etat n’ont pas lu le texte, ils ont signé sans savoir ce qu’il contenait exactement.

« Une situation complexe s’est présentée en 2010 dans un pays membre de la Cedeao et la Commission avait alors estimé qu’elle pouvait déclencher l’intervention militaire, en vertu des textes en vigueur. Les chefs d’Etat nous ont sévèrement sermonnés et sont allés jusqu’à nous demander pour qui nous nous prenions. On a encaissé sans broncher », se souvient avec amertume un ancien vice-président de la Commission de la Cedeao.

A ces brimades régulières s’ajoutent d’autres couleuvres que le chef de la diplomatie doit avaler lors des voyages officiels lors desquels il accompagne le président de la République. Il lui faut d’abord trouver sa place protocolaire entre « son patron » et la première dame qui, sans fonction officielle, est aussi du voyage. La Tchadienne Hinda Idriss Déby Itno manque rarement un voyage à l’étranger de son mari, alors que la Camerounaise Chantal Biya voyage toujours avec Paul Biya lors de ses rares déplacements pour les rencontres sous-régionales ou africaines. Et la première dame du Caméroun ne manque jamais d’accompagner son époux lors de ses « longues retraites » au Grand Hôtel de Genève en Suisse.

Le ministre des affaires étrangères doit également s’accrocher à l’agenda du président de la République qui, en vérité, n’en a pas… Résultat : il n’est pas rare de rencontrer à Addis-Abeba, Dakar, Paris ou Abuja des ministres africains des affaires étrangères traînant au bar des grands hôtels, en attendant que le protocole leur communique le programme du « patron ».

C’est donc seulement au prix de sacrifices, avec toujours dans leurs poches des cachets contre le stress, les maux de ventre ou la tension artérielle, que les titulaires du maroquin des affaires étrangères réussissent à rester longtemps dans le gouvernement. Mais tous n’ont pas l’astuce et la résilience de la Nigérienne Aïchatou Mindaoudou, ministre des affaires du président Mamadou Tandja (2000-2010), du Sénégalais Cheikh Tidiane Gadio, chef de la diplomatie d’Abdoulaye Wade de 2000 à 2009, ou encore du Tchadien Moussa, ministre des affaires étrangères d’Idriss Déby de 2008 à janvier 2017.

Seidik Abba, journaliste

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