Climat : comment inciter les entreprises à transformer leurs engagements en actes ?

Sept mois après l’adoption de l’Accord de Paris, la donne a-t-elle vraiment changé pour les entreprises ? En amont de la COP21 et pendant l’évènement, elles ont été nombreuses à afficher leur engagement en matière de lutte contre le changement climatique. Mais quid de la mise en œuvre ? Farid Baddache, directeur général du réseau BSR pour l’Europe, l’Afrique et le Moyen Orient, dresse le panorama des avancées et des freins qui restent à lever.

Farid Baddache, directeur général du réseau BSR pour l’Europe, l’Afrique et le Moyen Orient.

Novethic

 Novethic. Plus de six mois après la COP21 et l’Accord de Paris, qu’est ce qui a changé pour les entreprises ? 

Farid Baddache. Il faut d’abord remettre les choses en perspective et ne pas donner une importance démesurée à la COP21 : des engagements et des mesures destinés à lutter contre le changement climatique ont été pris bien en amont par les acteurs économiques.

Il s’agit d’un mouvement de fond qui s’amorce depuis quelques mois maintenant. La COP a davantage été un évènement accélérateur, un « précipité » comme l’on dit en chimie. Ce que donne l’Accord de Paris, c’est une impulsion politique de long terme. Pour les entreprises cela met au jour deux grands principes qui les guident.

La compétitivité d’abord : les contributions nationales des Etats (INDC) leur offrent un cadre nouveau dans lequel les cartes de la compétitivité de leurs marchés et de leur chaîne de valeur sont rebattues.

Concernant leur responsabilité ensuite, la science offre des points concrets sur lesquels s’appuyer pour calibrer des stratégies et programmes sur une trajectoire de 2°C, voire de 1,5°C. Seul ce niveau d’ambition permettra aux entreprises de construire les conditions de leur propre résilience et sera jugé responsable par leurs parties prenantes.

Nous encourageons les entreprises à s’engager désormais sur 7 actions prioritaires, dans le cadre desquelles nous travaillons aujourd’hui, notamment sur les science based targets, avec les entreprises membres de notre réseau, en fonction des secteurs et de l’exposition au risque de chacune des sociétés. C’est très différent de la méthode que nous adoptions avant et qui était basée sur le facteur 4 (division par 4 des émissions de gaz à effet de serre, NDLR).

Nous travaillons aussi sur le périmètre 3 (scope 3) des émissions des entreprises, c’est-à-dire les émissions de GES indirectes. Ce n’était pas le cas auparavant.

 

« Ce qui se joue, c’est une transformation totale de nos systèmes de production et de consommation »

 

Depuis quelques mois, les acteurs économiques affichent leur prise de conscience climatique. Mais la traduction en actes de ces nombreux engagements est-elle en marche ?

Il est aussi sans doute trop tôt pour observer un bouleversement total. Je fais partie de ces gens impatients qui voudraient que cela aille plus vite, mais ne soyons pas trop sévères non plus. Sur ce sujet, nous sommes sans doute condamnés à être déçus sur la vitesse ou le calibrage des efforts… Car n’oublions pas que ce qui se joue, c’est une transformation totale de nos systèmes de production et de consommation.

Quand je prends du recul sur une vingtaine d’années, je me rends compte qu’il y a des choses fondamentales qui se passent en ce moment, et particulièrement depuis la Climate week de septembre 2014. Des investisseurs mainstream par exemple s’emparent aujourd’hui très bien du sujet. On voit des mouvements comme Desinvest. Des entreprises ont pris des engagements forts en termes de déforestation, d’efficacité énergétique, la réduction des énergies fossiles…

En octobre 2015, notre baromètre sur les préoccupations RSE des entreprises montrait d’ailleurs que le climat – avec les droits de l’Homme – était un sujet clé de mobilisation et d’investissement dans les entreprises au niveau mondial. Ce n’était plus le cas depuis la COP15 de Copenhague. C’est ce que montre très bien une étude de Bloomberg New Energy Finance et du Ceres, qui date de janvier 2016. Elle recense les actions prises dans le domaine financier et analyse le capital requis pour assurer la transition énergétique nécessaire dans le cadre d’un scenario 2°C. Elle montre à quel point les besoins financiers liés à la transition énergétique sont faibles par rapport à la masse financière déjà mobilisée. Et pourtant son titre est clair : il reste encore beaucoup à faire. C’est un signal fort adressé à la communauté économique et financière.

 

Certes, il est encore tôt pour faire un bilan des actions concrètes mais comment suivre la réalité des engagements qui ont été pris à l’occasion de la COP21 ? Quels moyens pouvons-nous mettre en œuvre pour contrôler la réalité de ceux affichés sur les plateformes NAZCA ou LPAA par exemple qui ont été mises sur le devant de la scène par les organisateurs de la COP eux-mêmes ? 

Il faut certes attendre ces acteurs – entreprises ou investisseurs – au tournant, mais il ne s’agit pas de les « forcer » à agir. Si nous sommes, comme je le crois, sur des enjeux de compétitivité mais aussi de responsabilité, alors il y a derrière la notion de confiance. La question du suivi est essentielle, mais elle doit aussi venir de l’entreprise : elle découle naturellement de son engagement, pris de façon volontaire. Ne pas le faire exposerait à des retours de bâtons. Mais il faut aussi donner envie, inciter les entreprises à transcrire leurs engagements en actes.

Sur la forme du suivi en elle-même, notamment via les plateformes, la bonne solution n’est pas si simple à trouver. Car il faudra prendre en compte la complexité du sujet et de sa mise en œuvre par les entreprises : comment faire par exemple si le périmètre de l’entreprise n’est plus le même (rachat ou cession notamment) ? A ce stade, nous avons plus besoin que les entreprises progressent plutôt qu’elles soient jugées. Vers quoi alors devons-nous tendre : des plateformes de contrôle ou de dialogue ? N’avons-nous pas surtout besoin de travailler collectivement pour savoir comment atteindre les objectifs basés sur la science ? Fabriquer cette dynamique-là est clé.

 

« Le problème technologique est un faux problème »

 

Quels sont les freins qui restent à lever ? Sont-ils technologiques ? Financiers ? 

Selon moi, le problème technologique est un faux problème : avec l’existant on peut déjà faire beaucoup. Il est trop facile d’attendre l’innovation pour se mettre en marche.

Ce qui bloque surtout, c’est la mobilisation du capital. Et c’est d’autant plus problématique que les montants que cela représente sont une goutte d’eau dans la masse des flux financiers mondiaux. Mais cela peut bouger très vite.

Enfin, ce qui manque aussi, c’est la prise de risque. Il y a un problème de structure économique. Les entreprises – surtout les grandes – sont rivées dans des réalités où il faut se débrouiller avec le système existant pour sortir du dividende de court terme, ce qui n’incite pas à prendre trop de risques sur des choix de rupture. Il s’agit donc de donner aux entreprises l’espace nécessaire pour opérer un basculement.

 

Une de vos études récentes pointe du doigt le manque de données concernant la chaîne d’approvisionnement, qui émet en moyenne 4 fois plus que l’entreprise mère en direct. Est-ce que ce n’est pas là une des clés d’avancement ? 

Bien sûr. D’autant que plus on a de connaissance sur le sujet et plus on en découvre la complexité. Mais ce qui est intéressant, c’est que l’on voit que les freins liés à la supply chain sautent progressivement.

D’abord, concernant la comptabilité des émissions de gaz à effet de serre, il est louable de vouloir être précis. Mais il ne faut pas que, sous prétexte d’un risque de double comptage des émissions entre l’entreprise et sa chaîne d’approvisionnement, on finisse par ne rien compter du tout ou se renvoyer collectivement la responsabilité. L’approche « science based targets » règle en partie cette question, puisque l’on réfléchit non pas en termes relatifs mais en termes absolus.

Deuxièmement, pendant longtemps on a vu la chaîne d’approvisionnement comme un moyen de délocaliser (aussi) ses émissions. Avec l’Accord de Paris et les contributions nationales, on tend vers une harmonisation des législations nationales sur ces sujets. Le dumping environnemental devient de plus en plus difficile : il est compliqué de s’exonérer des contraintes environnementales d’une zone donnée,  que ce soit sur la ressource en eau ou la pollution atmosphérique par exemple.

Enfin, certains secteurs sont plus agiles que d’autres sur les émissions de gaz à effet de serre. Jusqu’à présent, en ce qui concerne ses émissions de GES, une entreprise au scope 3 déterminant dans le calcul de ses émissions, un grand distributeur par exemple, pouvait se décharger de sa responsabilité sur ses fournisseurs. Ce qui est plus compliqué pour une entreprise au scope 1 et 2 déterminant dans le calcul de ses émissions comme une entreprise minière par exemple… Seulement, maintenant que nous avons des communautés d’investisseurs, de clients et de régulateurs qui se retrouvent avec des engagements plus ou moins contraignants, mais qui en tous cas posent des questions, l’agilité joue moins : tous les secteurs se retrouvent confrontés à la même réalité. Et de plus en plus de secteurs peu exposés directement prennent aujourd’hui des engagements forts.

 

Les choses bougent, dites-vous. Mais à quel moment faudra-t-il tirer la sonnette d’alarme si l’on voit que cela ne va pas assez vite ? 

Il faut déjà la tirer. Ce que je veux dire, c’est qu’il est trop tôt pour être trop critique ou, inversement, béat sur les effets de la COP21. Il faut être vigilant et que chacun prenne ses responsabilités, à son propre niveau.

Notamment au niveau politique. Il y a là un vrai champ à explorer. Comment par exemple le politique peut-il devenir un vecteur d’émulation positive entre les forces vives d’un territoire, pour créer de la confiance autour de la notion de responsabilité et de transformation positive vers une économie à faible intensité carbone ?

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